Devant la prévalence des échanges entre disciplines, fait qui n'a rien de nouveau en cela qu'il fit déjà le lit du projet initial de Morris ou celui de la réforme de l'art au Bauhaus sous la direction de Gropius notamment, et sans s'appesantir à nouveau sur les fondations artistiques de la création du design assise par des critiques d'art tels que Carlyle ou Ruskin, la nature de ses origines artistiques relève d'une difficulté intrinsèque à affirmer son autonomie et son champ d'action par rapport à l'art. Une pléthore d'expositions, colloques et essais consacrés à ces relations fleurissent régulièrement depuis les années 1990. Ces "Great Debate[1]" espèrent redéfinir et renouveler les analyses de ces échanges. Cependant, on peut se demander si cet élan ne serait pas le symptôme d'une association d'un autre âge ou l'art et le design étaient entremêlés, ou bien si les éléments de réponses qu'il génère, peu concluants, n'existent que dans leur opacité et leur résistance. On peut suspecter les conditions de leur réciprocité et se demander encore quelles sont les raisons qui motivent le recours à des termes tels qu'interdisciplinarité ou pluridisciplinarité. (…) Car derrière chacun de ces évocations se profile un réagencement des forces en présence.
Dans ce contexte, quelle place est-il possible de conférer au design ? Est-il central comme le postule Droog Design ou au contraire est-il entièrement assujetti à d'autres disciplines ? S'il a, au cours de son histoire et à plusieurs reprises, tenté de se libérer des territoires de l'art, de l'ingénieurie et de l'architecture, derrière le discours universalisant de l'interdisciplinarité se cache la toute-puissante axiologie traditionnelle qui place l'art à son sommet. C'est sous cet éclairage qu'il faut comprendre la critique portée par l'historien d'art Hal Foster qui dans Design et crime[2] reprend à Krauss sa conception de l'objet comme point de départ des formulations critiques de l'aliénation, aux fins de mieux condamner le design pour avoir créé une confusion entre l'utilitaire et l'esthétique. Foster articule son propos autour de deux axes : le premier consacré à la dissolution de la culture et du marketing ; le second à l'intrusion du design dans la vie quotidienne, faits qui découlent de cette indistinction de valeurs déjà soulevée par les détracteurs de l'Art nouveau. Il relance le débat engagé par Krauss au début du XIXe siècle qui distingua la stratégie de l'Art nouveau en donnant une dimension artistique aux objets utilitaires du projet moderniste, qui pour sa part, accordait une fonctionnalité aux objets d'arts. Pour Foster, le design confond valeur d'usage et valeur artistique et mène la société à une "régressive indistinction". Selon Foster toujours, le design constituerait "la revanche du capitalisme sur la postmodernité". En construisant sa critique de la sorte, non seulement il ne questionne pas l'idée selon laquelle le design s'affranchit régulièrement des impératifs de l'économie libérale, mais il l'astreint à se penser uniquement comme une marchandise, et de plus, lui refuse tout recours à la question de la discipline.


Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 186-188.

[1] Pour reprendre les termes d'une table ronde consacrée à la question en Grande-Bretagne en 2004.
[2] Hal Foster, Design et Crime, Verso, London, New York, 2002.