Quantité d'architectes et de designers ont conçu des voitures, de Le Corbusier à Carlo Mollino. Mais les Smithson s'en réclament ouvertement comme du nouveau paradigme de l'architecture et du design et s'en font les chantres à l'occasion de la House of the Future (La maison du futur), un prototype de maison industrialisable exposée en 1956 dans le "Daily Home Exhibition[1]" une manifestation qui se tient annuellement en Angleterre, sponsorisée par le journal éponyme. Ils y présentent une maison conçue comme une voiture. Démonstration à l'appui, la House of the Future est "habitée" par deux couples d'acteurs qui se relaient et se visitent. Entièrement climatisée et en plastique, elle est dotée de fours micro-ondes et autres technologie de pointe, jusqu'à la table à manger du salon qui disparaît dans le sol ou s'arrête à mi-hauteur pour servir de table basse. Les pièces (boudoir, salon, cuisine, salle de bains, etc.) sont distribuées autour d'un patio central. Analogie automobile en ce sens que chaque élément a été conçu pour être modifié et changé s'il est déficient ou technologiquement dépassé, comme on le ferait pour un pneu crevé ou une aile froissée de voiture ou encore pour un autoradio. Travail d'équipe mené dans les laboratoires de recherche, la maison des Smithson est prête à être fabriquée en usine. Elle est conçue comme un bien de consommation, chaque partie étant modifiable à loisir, chaque couleur dépendant du choix de l'acheteur, chaque modification pouvant être facilement adaptée. Contre les diktats du bon goût et du fait des bouleversements de la société, la suprématie des valeurs immobilières, enchâssées dans celle de la bourgeoisie, semble suspendue et les vertus modernes semblent remplacées par celles de la culture populaire. Ce déplacement donne naissance à une production sans retenue, et profondément pop. Mais dans le même temps, en filigrane, elle relève d'un éclectisme élevé par l'écrivain Susan Sonntag au rang de camp, un terme qu'elle développe et qui joue volontiers avec le mauvais goût. Selon Sonntag, le camp est une revendication, "une façon de voir le monde comme un phénomène esthétique[2]" dont "l'idéal ne sera pas la beauté ; mais un certain degré d'artifice, de stylisation[3]" et dont l'objectif est de "corrompre (…) l'innocence[4]". Il en est ainsi du design, et par extension de tout objet de consommation. Il se pare des symboles et des signes qui l'éloignent du fonctionnalisme et qui sont censés assurer un pouvoir de séduction sur un autre mode auprès de leur utilisateur.
Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 131-132.
[1] Voir Deborah S. Ryan, Ideal Home, Through the 20th Century, Londres, Hazar, 1997.
[2] Susan Sonntag, "Notes on Camp" (1964) in Against interpretation (1966) in Mark Francis (éd.), Les années pop, Paris, Centre Pompidou, 2001, 64.42.
[3] Ibid.
[4] Ibid.