Cette conception hygiéniste entre en résonance avec l'utilisation de matériaux comme le métal et la tubulure simple, hygiénique, dynamique et rationnelle. Sous la plume de Charlotte Perriand (1903-1999), le métal devient le fer de lance du combat des Modernes en France et en Angleterre. Le débat est lancé dans les pages de l'influente revue The Studio en 1929[1] par John Gloag (1896-1981), le critique britannique fondateur de The Utility Furniture Catalogue (Le catalogue des meubles utiles) en 1943, qui promeut le concept britannique de "good design" ou design de qualité. Perriand lui répond en signant un article-manifeste dans le même journal intitulé "Wood or Metal[2]" et dans lequel elle préconise l'utilisation du métal en remplacement du bois : "C'est un matériau nouveau, le matériau qu'on devrait employer, propre à mieux résoudre les problèmes de l'homme nouveau, l'homme qui comprend son époque et qui la vit[3]." Perriand confère au métal des atouts qui ne se limitent pas à de simples propriétés physiques ; son utilisation est gage de savoir-vivre et permet de justifier la place de l'homme dans la société : "Un intrus ? Oui, s'il s'entoure de mobilier antique, et non, s'il vit dans le cadre de l'intérieur nouveau[4]." Derrière ce panégyrique du métal se dessine l'idéologie moderne de son auteur pour qui la modernité repose principalement sur l'utilisation de nouveaux matériaux industriels, léger et hygiéniques. Il sont les instruments de la défense de l'utopie sociale et démocratique des Modernes s'accordant avec les principes de standardisation qui commence tant bien que mal à se profiler car dans les faits, la standardisation reste souvent lettre morte. Au Bauhaus par exemple, pour sa présentation de fin d'année, Marianne Brandt réalise deux théières, l'une faite à la main, l'autre industriellement, et les compare. La surface de la première est martelée de petits coups de poinçons révélant le travail minutieux de l'artisan, tandis que la seconde ne souffre aucun défaut de la sorte, les formes étant continues, sans aspérités, l'aspect lisse et l'objet mieux fini. La comparaison entre les deux permet à Brandt de démontrer les qualités supérieures de l'industrialisation des biens de consommation courante et la constance du résultat final. Toutefois, dans les faits, les deux théières ont été réalisées à la main ; nulle entreprise n'ayant accepté de les produire. La comparaison entre les deux théières n'est donc que théorique. Cette anecdote n'est pas un fait exceptionnel. Dans l'entre-deux-guerres, nombreux sont les designers qui approchent des industriels pour engager des productions d'objets, mais les conditions économiques et le désintérêt des manufacturiers réduisent ces espoirs à néant. En dépit de son intention et de ses nombreuses propositions en ce sens, la production du Bauhaus, malgré quelques remarquables réalisations architecturales et aménagements intérieurs, n'est presque jamais menée à son terme industriel. Il en est ainsi de Marcel Breuer qui propose la production de la Wassily chair aux usines de bicyclettes Aget, en vain, avant d'envisager la création de sa propre entreprise de fabrication et de distribution de meubles. Pour autant et malgré l'édition de lampes de Moholy-Nagy ou de vaisselle, rares sont les commandes fermes. Au cours des quinze années d'activités du Bauhaus, on estime que seule une vingtaine d'industriels ont marqué un intérêt concret pour une éventuelle production.


Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 99-101.

[1] John Gloat, "Wood or metal", The Studio 97, 1929, p. 49-50.
[2] Charlotte Perriand, "Bois ou métal" (1929 reproduit in Paris-Berlin, op. cit., p. 343.
[3] Ibid.
[4] Ibid.